Qui n’a pas vu dans un magazine de déco ce surprenant tapis? Des symboles berbères en forme de losanges et d’échelles pour certains, se dessinent dans une explosion harmonieuse de couleurs. Panaché de tissus et de laines synthétiques, le tapis boucharouite se démarque aussi par sa composition. Loin des clichés habituels, ce tapis hors normes illumine vos intérieurs de New York à Marrakech!

Tapis Boucharouite, collection privée Ossart+Maurières.
Photo tirée de l’ouvrage Desert Design.

On apprécie un objet souvent pour sa forme et sa fonction. Cependant, il est intéressant de chercher à comprendre son origine, son histoire voir le contexte socio-économique de sa création.
Pourquoi et comment ce tapis insolite a jailli du désert marocain?
Pour cela, commençons par un petit rappel historique dans le Royaume après la décolonisation jusqu’aux années 80′, date d’apparition des premiers tapis boucharouites.

Fin des années 50′: indépendance et décolonisation / Une structure tribale séculaire affaiblit

Après la fin du protectorat français en 1956, de nombreux événements ont bouleversé les paysages à la fois politiques et socio-économiques marocains. Tout d’abord, sa Majesté Mohamed V décède après un règne saccadé entre protectorat et décolonisation. Le roi Hassan II, tout récemment intronisé, doit gérer une longue guerre entre l’Algérie et le Maroc. S’en fait suivre un bilan économique désastreux accompagné d’une aggravation du chômage.
Le 23 mars 1965, des protestations de rue ont eu lieu dans plusieurs villes du Maroc. La structure sociale entre les tribus et les peuples de religion diverses s’affaiblit.
Jusque-là, dans les régions entre Tafraout et Merzouga (soit environ sur 700km), des peuples de religions divers vivaient ensemble dans une organisation séculaire. Les juifs-berbères étaient principalement des sédentaires commerçants spécialisés entre autres dans le bijou et le tissage. Quant aux nomades, des berbères de confession musulmane, vivaient de l’agriculture et de l’élevage. De nombreuses villes du Royaume telles que Merzouga, Erfoud… ont été construites autour de leur souk. Ainsi, les tribus avaient pour coutume de s’y rencontrer et de commercer ensemble.

Des années 60′ aux années 80′: du nomadisme à la sédentarisation

En 1960, le Maroc connaîtra pour la première fois de son histoire, un recensement de sa population. Egalement, le pays verra l’apparition d’une nouvelle loi obligeant tous les enfants à se scolariser (en 1963). Suite à cela, viendra une longue vague de sédentarisation des tribus berbères originellement nomades. Et comme tout changement social engendre une transformation économique, les tribus berbères récemment installées dans des villages développeront des nouvelles activités en s’adaptant à leur environnement. D’autant plus que le roi Hassan II par le biais de différents plans, investira dans le tourisme au Maroc.
Cette période sera aussi marquée par une très importante émigration de juifs (environ 200 000 personnes) et de musulmans originaires de cette région vers des pays étrangers. Ces émigrations emporteront avec elles tout un savoir-faire notamment la fabrication des tapis à l’aide de métiers à tisser traditionnels.

A partir des années 80′, développement d’un tourisme rural:

Durant 4 années, une effroyable sécheresse sévit le pays. La population devenue vulnérable, sera frappée par une extrême pauvreté.
Pour sauver son peuple, le roi Hassan II axera sa politique vers une ouverture du pays à l’extérieur. Dans un premier temps, il pacifiera les relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie. Ensuite, il proposera de nombreuses alternatives pour développer le tourisme au Maroc. Notamment, le Roi élaborera un plan quinquennal de 1988-1992. Ce programme diversifiera l’offre de produits touristiques à partir de nouveaux pôles de développement. Ces derniers correspondent à des types de tourisme jusqu’alors marginalisés comme le tourisme familial, le tourisme de montagne et de sports d’hiver, le tourisme rural, le tourisme de nature, etc…

La politique d’ouverture du Royaume entraînera un regain d’activités économiques marqué par le retour des émigrés dans leur pays d’origine. En effet, de nombreux MRE apportèrent des capitaux et des produits étrangers à leurs familles restaient dans les villages.
La politique de financement du tourisme rural ainsi que la construction de routes goudronnées permettront également à Merzouga et sa région de connaître un intérêt croissant de la part des étrangers. Les autochtones de la première vague de scolarisation développèrent des centres d’accueil pour touristes.
Ironie du sort! Des anciens nomades sédentarisés accueillirent dans leurs auberges des sédentaires devenus voyageurs occasionnels.

Naissance d’un esthétique innovant dans un nouveau contexte social et économique:

La plupart des tisserands disparurent avec la forte émigration juive. Les femmes berbères n’eurent pas d’autres alternatives que celle de tisser elles-mêmes. En effet, les tapis étaient utilisés comme biens de nécessité tels que des couvertures…
Elles rencontrèrent également, une seconde difficulté. La laine de mouton se fît extrêmement rare suite à la sécheresse du début des années 80. Devenues expertes en recyclage en raison de l’obligation de s’adapter à un environnement hostile, ces femmes volontaires eurent la bonne idée de récupérer des habits usagés manufacturés trouvés dans le souk et provenant principalement des MRE. La laine de vieux pulls détricotés, des chiffons usagés… les fils de ces textiles aux couleurs éclatantes se retrouvèrent entre leurs doigts agiles qu’elles fixèrent dans les métiers tisser. Au fil de leurs sensibilités, de véritables oeuvres d’art prirent forme dans le désert aride de la région de Merzouga. Un tout nouveau genre de tapis jamais vu auparavant, les boucharouites (traduits guenilles), se dévoilèrent de manière surprenante.

Un objet de design dans toute sa splendeur. Ce tapis n’a pas été conçu pour être de l’art. Il l’est devenu à l’insu de sa créatrice dont la volonté de créer un objet domestique a été sublimée par des influences enfouies dans la mémoire de ses ancêtres.

« Composition abstraite, dissymétrie des motifs et couleurs insolites assoient les principes stylistiques d’un courant artistique évident. » Christine Bouilloc, Directrice du musée Bargoin.

CREDITS:
La plus part des photos ont été tirées du livre Desert Design, tapis contemporains de l’oriental marocain.

Une exposition des tapis boucharouites a eu lieu au musée YVES SAINT LAURENT marrakech et au musée BARGOIN. Plus d’infos en cliquant ICI.

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