‘Where Self Resides’, entre philosophie spatiale et introspection poétique
L’artiste sino-française Vera Huang inaugure à Paris sa toute première exposition personnelle intitulée Where Self Resides (Là où le soi habite), au 40 rue Sedaine, dans le 11ᵉ arrondissement.
Dans La poétique de l’espace, le philosophe français Gaston Bachelard affirme que les recoins de l’espace privé détiennent un pouvoir singulier : celui de réveiller les souvenirs profonds et les émotions enfouies. L’espace n’est pas seulement une entité physique ; il est aussi un contenant sensible, un réceptacle traversé par les flux émotionnels et les expériences perceptives les plus primitives.
Artiste spécialisée dans la conception d’espaces sensibles, Vera Huang explore depuis plus d’une décennie le lien intime entre architecture et conscience. En conjuguant structure, lumière et matière, elle compose des narrations silencieuses qui transforment les lieux de vie en paysages mentaux.
Après plusieurs années dans l’architecture et le design, elle fonde son propre studio Vision Design en 2019. Elle présente en 2023 sa première exposition artistique Mood Board au musée Himalayas de Shanghai.
Nourrie depuis longtemps par l’imaginaire de Paris — ville où s’entrelacent histoire, mémoire et corporalité — Vera offre avec cette exposition une synthèse poétique entre philosophie orientale et pensée occidentale. Where Self Resides constitue l’aboutissement d’un long parcours artistique et théorique. Elle y trace une trajectoire sensorielle à travers l’espace : de la structure au sentiment, de l’empreinte quotidienne à la contemplation du soi. L’exposition interroge en profondeur la manière dont l’espace façonne notre intériorité.
« Je crois que l’espace est un conteneur de mémoire, un refuge émotionnel. »
Explique Vera Huang
L’espace, ici, devient un lieu de mémoire. Ce que nous nommons communément « chez soi » n’est pas qu’un simple abri fonctionnel : c’est un refuge pour l’imaginaire et la résonance affective. Les marques du quotidien, ces détails souvent négligés, constituent une poésie invisible qui donne au lieu une densité émotionnelle et une profondeur temporelle.
Depuis la seconde moitié du XXᵉ siècle, plusieurs disciplines — philosophie, géographie, sociologie, psychanalyse — ont recentré leur attention sur l’espace comme matrice de l’expérience humaine. Michel Foucault a souligné que l’espace n’est pas statique ni figé, mais vivant, actif et porteur de tensions dialectiques. Loin d’être un simple contenant, il est une architecture du sensible.
La commissaire Juliette Wang insiste sur la façon dont l’espace révèle silencieusement notre état intérieur. Selon elle, l’exposition ne vise pas à présenter un espace en tant que tel, mais à rendre sensible la manière dont l’espace modèle notre perception du soi. Chaque recoin négligé contient une puissance de révélation. C’est cette posture introspective que le parcours invite à explorer.
À travers trois séquences spatiales, l’exposition propose une immersion graduelle vers l’intériorité. Le parcours s’achève par un escalier en spirale, suspendu dans une lumière douce, semblable à une galaxie. Cette structure n’est pas destinée à élever vers le haut, mais à ramener le visiteur vers l’intérieur. C’est une voie symbolique de retour à soi, un rituel spatial de reconnexion à l’univers intérieur. Car comprendre le soi, c’est moins suivre le fil du temps que se situer dans l’espace.
Une porte est un univers à moitié ouvert, à moitié fermé. En ouvrant ou fermant une porte, l’humain éprouve son existence. L’artiste transpose cette pensée en installant de larges rideaux noirs symbolisant ces seuils. Ils divisent la lumière, redéfinissent les frontières, tout en refusant l’absolu. Le mouvement des rideaux devient une poétique du passage, où la douceur dissout la rigueur géométrique. L’artiste s’y fait poète, traversant les murs de la logique pour bâtir un espace de l’esprit.
Matières, lumières et structures s’interpénètrent pour guider le spectateur dans un monde sensoriel où chaque trace redevient sensible. Dans l’ombre des rideaux, les objets du quotidien apparaissent sous un nouveau jour. Le lieu devient une matrice cosmique, une cartographie de la mémoire.
La notion de « trace » est centrale dans cette oeuvre. Elle condense l’immensité dans l’infime. Elle donne à l’éphémère une puissance cosmique. Dans le silence ouaté du lieu, chaque fragment du réel acquiert une charge émotionnelle singulière. Les rêves, les souvenirs, les gestes oubliés sont suspendus comme des planètes en dérive. L’artiste transforme ces particules de vécu en constellations, ouvrant la voie vers un univers intérieur.
Deux moments sensoriels ponctuent l’expérience. Le premier est le rituel lumineux de l’escalier, allumé progressivement comme une métaphore de l’éveil de la conscience. Le second est un concert de violon, qui accompagne le visiteur à travers l’espace, tissant les émotions dans les matières. Le son devient souffle, l’espace devient corps. La musique infuse le lieu de temps, rendant l’abstraction pleinement habitée.
Ainsi, l’espace d’habitation rejoint celui du cosmos. Les frontières entre microcosme et univers sont effacées par l’imaginaire. Dans Where Self Resides, le spectateur redécouvre l’essence de sa propre présence. Comme l’écrivait Charles Baudelaire, l’homme est un être de rêves, de symboles et de désirs, qui erre entre la ville et la pensée, entre chute et envol. C’est cette complexité spirituelle que Vera Huang nous invite à traverser.
L’exposition se présente donc comme une méditation spatiale et sensorielle, une invitation à ralentir, à ressentir, à habiter pleinement notre espace intérieur.
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