Blazing Grace, l’art verrier contemporain suédois
L’Institut Suédois présente une exposition de verre contemporain à l’occasion de la Paris Design Week, du 3 au 21 septembre 2025. L’art verrier suédois possède une longue et riche histoire, entre innovations et traditions, prestige et simplicité, prospérité et déclin.
100 ans après la percée du mouvement Swedish Grace, il entre dans une nouvelle ère. Une génération d’artistes audacieux remettent en question les traditions établies et les approches conventionnelles, et célèbrent les formes, les couleurs, le désir.
Dans une filiation critique du mouvement Swedish Grace, l’artiste et commissaire d’exposition Markus Emilsson invite cinq des artistes verriers suédois les plus éminents pour une exposition débridée, sauvage, haute en couleurs. Maria Bang Espersen, Hanna Hansdotter, Peter Hermansson, Fredrik Nielsen et Kirsten Vikingstad Hermansson développent, chacun à sa façon, de nouveaux langages esthétiques qu’ils répandent partout dans le monde. Ils ont en commun une passion pour le savoir-faire artisanal et une volonté profonde de contribuer au renouvellement de l’art verrier.
Maria Bang Espersen
Les oeuvres de Maria Bang Espersen (née en 1981) frappent par leur pouvoir d’attraction immédiat. Elles sont d’un genre totalement nouveau, hors des conventions et des attentes habituelles. C’est que depuis de nombreuses années, elle explore sans relâche de nouvelles techniques et expressions artistiques. Elle a développé sa propre méthode consistant à étirer et replier le verre fondu à plusieurs reprises, comme dans la fabrication des bonbons en sucre filé. Elle décrit son travail comme une sorte de jeu expérimental. Le processus est intense, rapide, imprévisible, et requiert une concentration totale pour intervenir avant que le verre ne refroidisse. À la fin, elle détache le verre de la canne et la façonne à la main. C’est une étape cruciale qui impose des choix esthétiques rapides et une grande souplesse. Contrairement à la verrerie traditionnelle qui repose sur la maîtrise, son approche consiste à comprendre le verre, à coopérer avec sa volonté propre et ses caprices. L’équilibre entre contrôle et hasard rend chaque sculpture unique, et chaque séance à l’atelier est un pari.
Hanna Hansdotter
Depuis sa sortie de Konstfack en 2017, la carrière de Hanna Hansdotter (née en 1984) a connu une ascension fulgurante. Avec ses sculptures chatoyantes, exubérantes et baroques, d’un kitsch assumé, elle s’est rapidement imposée comme l’une des étoiles montantes du verre suédois, tant sur la scène nationale qu’internationale. Hansdotter joue avec l’ornementation et les structures graphiques. En soudant entre elles de fines plaques de fer, elle construit des moules ingénieux aux motifs complexes, qui permettent au verre de se dilater partiellement librement. Le résultat : des objets contorsionnés, à la limite de l’effondrement. Des corps de verre voluptueux qui débordent de toutes parts, tout en conservant une rigueur et une précision saisissantes.
Ces dernières années, Hanna Hansdotter a exploré les possibilités esthétiques du verre plat et de la technique du verre affaissé, qui consiste à chauffer une plaque de verre jusqu’à ce qu’elle ramollisse et épouse la forme d’un moule. Grâce à cette méthode, elle a transposé son langage ornemental caractéristique – autrefois réservé aux sculptures soufflées en trois dimensions – vers des oeuvres murales en deux dimensions.
Peter Hermansson
La narration est au coeur du travail artistique de Peter Hermansson (né en 1975). Au cours des quinze dernières années, il a perfectionné et réinventé avec brio la technique suédoise classique du graal. Cette méthode complexe et chronophage, développée au début du 20e siècle au sein de la manufacture d’Orrefors, consiste à superposer des couches de verre coloré et à créer une paraison (une boule de verre soufflée, qui pourra ensuite être modelée). Une fois la pièce refroidie, le motif est esquissé, puis les couches superflues sont retirées par sablage et gravure, formant ainsi l’image. Ensuite, la pièce est lentement réchauffée, puis soufflée à sa taille finale sur la canne de verrier.
Issu de la culture graffiti, Peter Hermansson donne une nouvelle vie à cette technique ancestrale. Ses oeuvres sont puissantes tant par leurs couleurs que leurs formes et motifs. Son univers visuel explore les conflits intérieurs de l’être humain, oscillant entre pastel sucré et scènes étrangement déformées, parfois cauchemardesques. Il crée un monde surréaliste où se reflètent peurs, désirs, angoisses et pulsions humaines. Grâce à sa virtuosité technique et son audace créative, il est parvenu à agrandir considérablement la taille de ses pièces – tout en affirmant un style résolument contemporain. Ce double apport lui a valu une reconnaissance grandissante et légitime.
Fredrik Nielsen
Fredrik Nielsen (né en 1977) est souvent décrit comme un rebelle. Avec ses carafes et coupes chaotiques et monumentales, il s’est imposé comme l’un des plus grands innovateurs de l’art verrier contemporain. Dans un geste hors du commun, il utilise le verre à la fois comme matériau, colle et toile. D’anciennes sculptures en verre sont réchauffées et intégrées à de nouvelles oeuvres.
Comme le ferait un peintre, il superpose différentes couches, créant de nouveaux effets visuels, et façonne un nouveau corps de verre puissant aux contours flous. On y trouve des fissures, de la transparence, de l’opacité, des surfaces lisses et rugueuses. En post-production, une sculpture peut recevoir un coup de bombe de peinture, ou passer par un garage automobile pour être laquée d’une peinture métallique. La musique, le graffiti et la culture pop sont des moteurs essentiels de son processus créatif.
Les messages roses constituent l’une de ses signatures. Parfois, ils prennent la forme de néons punk criards ; d’autres fois, son numéro de téléphone est tagué sur les socles, les murs, les sols, et les oeuvres elles-mêmes. Fredrik Nielsen, c’est une énergie brute dont l’expression se manifeste à travers de multiples domaines.
Kirsten Vikingstad Hermansson
Kirsten Vikingstad Hermansson (née en 1988) est une artiste verrière norvégienne installée à Jämshög, en Suède. Ses oeuvres sculpturales en verre sont puissantes et saturées de couleurs audacieusement combinées. Le processus commence souvent par une coulée en four, où elle fusionne différentes teintes opaques en une forme massive. Une fois refroidie et démoulée, la pièce est retravaillée par sciage, polissage et meulage, avant d’être à nouveau chauffée et assemblée à chaud sur un banc de verrier.
Par cette technique, Kirsten Vikingstad Hermansson construit de puissantes sculptures abstraites qui réinterprètent les gestes classiques du travail du verre. Ses oeuvres s’inspirent de réflexions autour des concepts de pouvoir et de propriété, souvent symbolisés par des éléments architecturaux comme la tour ou l’anneau. Le cristal taillé, particulièrement celui de Orrefors, a été un fleuron de la production verrière suédoise. Brillants et limpides, ces objets étaient des produits d’exportation emblématiques qui ont contribué à la renommée verrière du pays. Kirsten Vikingstad Hermansson fait écho à cette tradition, mais avec une brutalité contemporaine : ses oeuvres sont rugueuses, opaques, audacieuses – sans fioritures.


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